De Marina de Ferrare à San Elia di Palmi

Du 12 au 19 juin 2017

MARINA –LIDO DI SCANZANO 93 kms

Lorsqu’on prépare un itinéraire on se fait des images, on croit savoir ce que va être la journée, mais la réalité s’avère souvent être toute autre. C’est le cas aujourd’hui.

Nous pensions faire une étape au bord de la mer : il n’en a rien été. En fait nous n’avons pour ainsi dire vu la mer qu’une seule fois, et c’est en arrivant au terme de notre étape. Le golfe de TARENTE, la mer Ionienne, la Grande Grèce antique, comme ils disent, n’est pas du tout aménagée pour le tourisme balnéaire et il n’y a même pas de route au bord de mer.

Ce n’est pas seulement parce que le golfe est pollué par l’industrie de TARENTE, la pollution ne se voit pas, mais parce que le golfe n’est pour ainsi dire pas habité. Il y a tellement de rivières qui viennent se jeter dans ce golfe qu’il faudrait une quantité phénoménale de ponts et ils n’ont jamais été construits. Il n’y a donc qu’une seule grande route qui longe la côte à 5 ou 10 kilomètres à l’intérieur des terres, une grande route à quatre voies qu’il est impossible de prendre à vélo. Nous l’avons suivie autant que possible en utilisant la voie latérale de service mais il nous a fallu nous en éloigner plusieurs fois, partir encore plus à l’intérieur des terres et parfois remonter un peu dans les collines où nous étions il y a trois jours (du coté de PISTICI). La journée n’a donc été ni très agréable ni très facile et il faisait très chaud.

Sur notre parcours nous avons tout de même contemplé quelques ruines grecques, dont le soi-disant tombeau de Pythagore.

Selon Porphyre de Tyr, Pythagore aurait fui Crotone pour Métaponte, et s’y serait laissé mourir de faim, en 497 av. J.-C., dans le temple des Muses. Mais il y a en Italie d’autres tombes de Pythagore, c’est toujours bon pour les touristes qui aiment les multiplications.

Le camping que nous avons trouvé est au bord de la mer (est-il utile de le préciser puisqu’il n’y en a pas ailleurs ? ). Nous passons la soirée en terrasse, dans une « boîte » de jeunes, des jeunes qui ne savent pas trop compter : moins de 20 euros pour une soirée boissons et repas compris, à deux, c’est bien. Plus on descend vers le sud moins c’est cher et moins ils comptent bien. Pythagore doit se retourner dans sa tombe.

A quoi bon aller en Grèce l’an prochain, nous y sommes déjà, avec Pythagore en prime

Lorsqu’ils font passer les rivières sur les ponts, c’est rafraichissant mais c’est glissant !

LIDO DI SCANZANO – VILLAPIANA 74 kms

Passage en équilibre sur des ponts en ruine, funambulisme sur des gros tuyaux d’irrigation, traversée de champs de blé, escalade dans des ronciers, franchissement de rivière à gué (où Geneviève choit)… on peut dire que la journée a été tout terrain et très sportive.

Nous voulions toujours descendre vers le sud en suivant la côte mais rien n’est prévu pour les vélos. Il y a toujours l’autoroute qui longe la mer, de plus ou moins près, la voie de chemin de fer qui longe l’autoroute, mais rien d’autre, et les voies de service au long de l’autoroute ne sont pas continues, et elles ne sont pas agréables. Il faut se frayer un chemin dans la campagne et ce n’est pas facile, il y a souvent des culs-de-sac. C’est vraiment une zone à déconseiller aux cyclistes.

Mis à part cela, la côte pourrait être très belle, il y a même une ou deux villes qui sont agréables (AMENDOLARA, ROSETO CAPO SPULICO), mais il n’y a pas du tout de tourisme, et on le comprend, le conservatoire du littoral n’est pas passé par là.

Faute de tourisme nous avons un peu de mal à trouver où planter la tente et nous finissons par être accueillis dans un vieux camping où il n’y a rien, ni bar, ni resto, ni clients. Il nous faut chercher où est « la » douche et ensuite demander à Daniele, c’est le gérant, où il faut agir pour avoir un peu d’eau… Bref c’est un camping de misère, la misère sous les pins, au bord de la mer, certes, mais aussi au bord de la voie ferrée dont nous profiterons bien.

Maintenant il nous faut retourner en ville pour goûter la cuisine calabraise, et notre resto du soir sera très bien. Il est situé sur la place et comme nous sommes en terrasse nous pouvons profiter de la vie du village, des enfants qui viennent y jouer dans la presque fraicheur du soir. C’est un resto spécialisé dans les poissons, et c’est bon.

VILLAPIANA – CARIATI 69 kms

44°, c’est la température affichée dans la rue ce matin à 9 heures. 44° au soleil, peut-être, mais comme le dit Geneviève : « oui, mais nous aussi nous sommes au soleil ». Et c’est vrai qu’il fait chaud.

La route n’est pas drôle du tout. C’est toujours la SS106, celle qui fait tout le tour du pied de la botte italienne, et il y a toujours autant de monde, même si dans cette zone ce n’est plus une autoroute. Elle est autorisée aux cyclistes mais on ne s’y sent pas vraiment en sécurité. Mais enfin nous entrons véritablement en Calabre.

C’est la pointe de la botte, l’extrémité sud de l’Italie, baignée par les splendides eaux de la Mer Ionienne et la Mer Tyrrhénienne et séparée de la Sicile par le détroit de Messine. Le climat accueillant, les magnifiques couleurs de la mer, les côtes rocheuses s’alternant aux littoraux sableux, la nature sauvage et mystérieuse, les saveurs intenses et authentiques de la cuisine locale, les témoignages de ses anciennes origines, font de la Calabre un lieu unique, aussi bien en hiver qu’en été. (Italia.it)

Compte tenu de l’environnement et de la chaleur nous nous étions dit que nous ne ferions pas plus de 60 kilomètres et sitôt atteint ce nombre nous nous sommes arrêtés au premier camping. C’est un camping plutôt « classe », « chez Mario » et nous avons l’intention de nous y reposer un peu, même s’il n’y a pas trop d’ombre. Profitons de la plage, elle n’est pas surpeuplée.

Le garçon qui nous a servi au restaurant parlait très bien français. Il avait travaillé dix ans à Vichy, au Pinocchio, et nous avons bien discuté. Il a réussi à nous convaincre de ne plus suivre la SS106, celle qui fait le tour du pied de la botté, et de passer par l’intérieur de la Calabre, zone beaucoup moins fréquentée et selon lui beaucoup plus belle. Nous verrons.

Repos à CARIATI 10 kms

Repos à CARIATI, ou peut-être à MANDATORICCIO, nous sommes entre les deux.

Le matin nous allons faire des courses en ville pour nous rhabiller un peu. C’est une petite ville et nous n’avons guère le choix dans les magasins. Nous nous retrouvons par la force des choses dans une boutique tenue par des chinois qui vendent des produits chinois, et c’est assez surprenant. Pour trente euros au total nous repartons avec des maillots, une chemise, un pantalon, des soutien-gorge et j’en oublie… Nous avons un peu honte de contribuer à ce genre de commerce mais il faut avouer que même si ce n’est pas très moral, même si ce n’est pas de la grande qualité, cela nous arrange bien et convient bien à notre mode de vie itinérant.

Farniente le reste de la journée. Nous étudions un peu les cartes pour trouver un itinéraire par l’intérieur des terres, Geneviève se baigne une dernière fois dans la mer Ionienne, nous « bullons » sous un petit coin d’ombre, nous bouquinons un peu… farniente farniente, c’est bon.

Aujourd’hui, en France, c’était l’épreuve de philosophie du baccalauréat et je n’ai pas reçu de convocation. Cela fait bien longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Je ne suis ni de surveillance, ni de correction, ni d’oral : c’est le pied ! j’en prends bien conscience. J’ai quand même regardé les sujets (les vieux démons ne disparaissent pas comme cela) et j’ai trouvé que les séries S n’étaient pas trop vernies. Pour les autres c’est mieux, et aux L on met des questions plus simples pour qu’ils puissent comprendre.

Loin des villes, perdues sur des petites routes,
les aires aménagées restent désertes

CARIATI – SAN GIOVANNI 71 kms

Virage à droite, virage à gauche, virage à droite, épingle à gauche, épingle à droite, virage à gauche… voilà qui résume notre parcours aujourd’hui. Un skieur nous dirait (je pense à Denis) que c’est simplement un slalom. Oui. Mais demandez au skieur de faire tous ses slaloms en remontant, c’est bien plus difficile. C’est ce que nous avons fait. Nous sommes montés trois fois à plus de 1000 mètres d’altitude, en partant de la mer, et nous avons fini à SAN GIOVANNI IN FIORE, à 1170 mètres. Autant dire que le dénivelé cumulé est impressionnant.

Mais tout cela a été fait dans des paysages magnifiques, sur des routes où il n’y avait personne. Nous avons traversé peu de villages mais notre passage était à chaque fois remarqué. C’est l’avantage de sortir des sentiers battus ; les habitants ne sont pas habitués à voir des cyclistes, ils nous interpellent, ils cherchent à nous aider, c’est très agréable.

Il n’y a pas de camping dans les environs et nous nous arrêtons dans le seul hôtel de la ville, hôtel plutôt sélect, à en juger par les prix et par toutes les petites gourmandises qui accompagnent notre bière d’arrivée.

Le midi nous avions déjeuné dans une zone aménagée, près de CAMPANA, et nous en avions déjà vu une avant. Ce sont des zones qui ont été financées par des crédits européens, probablement pour développer le tourisme en Calabre. En fait ce sont des zones qui sont à peine achevées (il y a encore des tas de ciment ici ou là) et où il n’y a absolument personne. On peut s’interroger sur le bien fondé de ce genre de réalisations ; le ministère du tourisme a encore bien du travail à faire.

Certaines maisons de Soveria ont un penchant étrange

SAN GIOVANNI – SOVERIA MANNELLI 65 kms

SAN GIOVANNI IN FIORE est vraiment une ville curieuse. Elle est accrochée au flanc de la montagne, ses rues sont en lacets et elle est très étendue, partagée en de nombreux quartiers qui sont en eux-mêmes des petits bourgs. Il est bien difficile de situer le centre ville.

Nous avons dû descendre toute cette ville avant de commencer vraiment notre étape. Ce sera encore une étape de montagne, de la vraie montagne, avec des lacs, des sapins. Contrairement à ce que nous pensions trouver dans le sud de l’Italie, c’est très vert. Cela ressemble beaucoup plus aux Vosges qu’à la Provence. Et si cela ressemble aux Vosges c’est dire comme c’est joli. Les bords du lac d’AMPOLLINO, que nous avons contourné, étaient superbes.

Nous avons fini notre journée dans une ville encore en altitude, à SOVERIA. Nous y avons trouvé un logement avec cuisine pour un prix dérisoire, ils proposaient même un local à skis mais il est difficile pour nous d’imaginer ces paysages caniculaires sous la neige.

Pendant notre pique-nique, ce midi, un jeune cyclo randonneur allemand est passé et s’est joint à nous pour manger. Il revenait de Sicile et a pu nous donner quelques renseignements intéressants. C’est le seul cyclo randonneur que nous ayons rencontré dans le sud de l’Italie. En y pensant bien, d’ailleurs, nous n’en avions pas vus depuis Rome, exceptés les migrants africains qui remontaient vers le nord.

Fabbio, c’est le nom de ce blond germain qui mangeait avec nous, était allé auparavant en Tunisie mais il en était revenu très vite : il n’aimait pas qu’on lui jette des pierres à son passage. Il se dirige maintenant vers la Grèce, via Ancône, c’est une idée qui nous tente aussi, mais pour l’instant, continuons à viser la Corse, nous y avons un rendez-vous que nous ne voulons pas manquer.

Insistons une dernière fois sur la beauté de cette région, le parc de la Sila et le Reventino sont à voir absolument et méritent une page de publicité.

Le Haut-plateau de la Sila, 150.000 hectares de merveilles naturelles incomparables, s’étend entre les provinces de Cosenza, Crotone et Catanzaro en Calabre. Un cadre naturel où la variété des paysages, des espèces animales et végétales et la beauté des lieux, a rendu opportune l’institution du Parc National de la Sila, dans le but de sauvegarder ce patrimoine exceptionnel. Ne renoncez pas à une balade parmi les bois, riches en conifères, symbole du territoire, parmi lesquelles se distingue le pin laricio qui habite, avec le hêtre et le sapin blanc en particulier, la magnifique Forêt des Géants (Foresta dei Giganti en italien). Plusieurs espèces animales, comme le loup et le cerf, y ont trouvé leur habitat naturel. Pour tous les passionnés de birdwatching (l’observation des oiseaux), nous signalons la présence de plusieurs espèces de rapaces, parmi lesquels le Milan Royal, le Circaète Jean-le-Blanc et le Hibou grand-duc. (Italia.it)

SOVERIA MANNELLI – ZAMBRONE 87 kms

Il faut réveiller nos vélos qui ont dormi bien au chaud, ils ne sont plus habitués au confort, et aujourd’hui ils vont encore être bien secoués.

11 kilomètres pour monter au col d’Acquabona, 25 kilomètres pour descendre sur LAMEZIA, puis la plaine du bord de mer et enfin la côte un peu plus rocheuse, avec des montées et des descentes qui s’enchaînent, côte très belle et plus touristique. C’est une journée bien remplie et très agréable.

En redescendant dans la plaine nous avons retrouvé la chaleur, le bruit des voitures, les poubelles en très grand nombre, les odeurs qui vont avec, les prostituées qui attendent dans les poubelles, les immigrés qui les fouillent (les poubelles) et qui errent avec leur petit vélo, et ils sont très nombreux. Nous ne voyions plus tout cela dans la montagne, à l’intérieur. En fait il y a deux Italie mais aussi deux Calabre fort différentes.

Le camping où nous nous installons est sur la plage et la mer est d’un bleu intense qu’on ne trouve qu’en Méditerranée (ici c’est la mer Tyrrhénienne, le golfe de Santa Eufemia). Mise à part sa situation c’est un camping bien pauvre.

Nous mangeons notre traditionnelle pizza à l’extérieur du camping, dans un restaurant où nous sommes servis par une jeune fille qui parle français. Elle est étudiante, diplômée, et déplore de ne pouvoir passer de concours pour enseigner ; c’est la même situation que Philippo que nous avions rencontré à BERGANTINO. Tous ces jeunes sont très en colère contre la politique menée depuis quelques années par leur gouvernement. Tout accès à des situations pérennes leur est interdit et ils sont condamnés à faire des petits boulots sans perspective d’avenir.

Mentionnons que ce petit restaurant avait une vue sur la mer et sur le Stromboli fumant.

ZAMBRONE – SAN ELIA DI PALMI 80 kms

Difficile de résumer une étape aussi riche et aussi variée.

D’abord le bord de mer, très montagneux quand même, avec de bonnes côtes, des tunnels. C’est un début d’étape qui n’est pas du tout calme mais la mer est superbe avec toujours un magnifique point de vue sur le Stromboli. La mer est d’un bleu à faire mourir d’envie notre pauvre Klein, qui en est déjà mort, c’est un bleu profond et vivant.

Monochrome IKB3, Klein

En redescendant de nos montagnes nous retrouvons des côtes assez huppées mais nous retrouvons aussi nos poubelles et tout ce qui va avec. Nous avons la chance de nous perdre un peu aux environs de PORTO DI GIOIA TAURO et d’être contraints de prendre des petits chemins qui nous ont conduits à un grand campement d’immigrés, un immense bidonville qu’ils étaient en train de bricoler avec des planches et des plastiques trouvés dans les dépôts d’ordure qui les entouraient. Cette découverte a été pour nous un choc violent : tant de misère dans tant d’odeurs, avec malgré tout des sourires, le sourire d’un jeune qui revient au camp, heureux d’avoir trouvé un clou…

Nous finissons notre journée comme nous l’avions commencée, c’est-à-dire par des côtes. Après PALMI nous remontons vers SAN ELIA pour trouver un camping bucolique, en pleine verdure, un camping hyper calme et serein qui contraste avec ce que nous avions vu. Le camping est situé près d’une falaise, à 580 mètres d’altitude, avec une vue grandiose. Nous y sommes seuls, du moins en arrivant, car un cycliste allemand, solitaire, viendra un peu plus tard planter sa tente contre la nôtre. Les gens qui voyagent seuls ont besoin de bavarder le soir, et nous n’avons rien contre, sinon sa tente.

Le soir, la mer nous offre d’autres monochromes