Je voulais prendre le temps de la réflexion et je me suis lancée dans la confection de masques pour des éducateurs d’AEIM. Mes talents de couturière étant modestes et mon désir de fournir un masque correct étant incompressible je me suis un peu cassée la tête.
J’ai lu avec un vif intérêt l’article de Patrick Boucheron: «En quoi aujourd’hui diffère d’hier». En particulier, il suggère de rédiger une auto-chronologie de l’épidémie, « en comparant la chronique des informations disponibles avec l’histoire de ma prise de conscience réelle, en reprenant mes mails, mon agenda, ce que je projetais et imaginais faire, alors que si j’y avais vraiment réfléchi, j’aurais pu savoir que ça ne se ferait pas. Il ne s’agit pas de couper court à toute critique du pouvoir, de son impréparation ou des rythmes de ses prises de décision – elle est évidemment démocratiquement nécessaire – de faire aussi un travail d’auto-description sur les formes personnelles qu’a pu prendre notre déni. Nous avons compris ce qui se passait par paliers. Notre cerveau a lentement basculé comme a sombré le Titanic, avec des caissons étanches qui ont sauté les uns après les autres, ennoyant progressivement notre compréhension et nous faisant finalement chavirer. »
Alors j’ai repensé à la période préélectorale municipale pendant laquelle j’avais de multiples réunions où nous nous saluions par des bises cordiales. Certains commençaient à dire « non, je préfère prendre mes distances » mais cela me semblait presque asocial. Et puis il y a eu la fermeture des écoles. Nous avons suggéré de garder éventuellement nos petites filles pour que nos enfants puissent travailler sereinement et là a eu lieu le premier choc. Nos enfants ayant eu dans leur entourage des personnes porteuses du virus ont gentiment décliné notre offre pour nous préserver. Çà y est nous étions devenus les personnes âgées, diminuées qui ne pouvaient plus assurer tous les rôles.
Le dimanche suivant avaient lieu les élections municipales où j’étais assesseure. Arrivée quelques minutes avant de prendre mes fonctions j’ai été étonnée de la non distanciation adoptée par la présidente de bureau. Sans masque, ni gant, elle prenait à pleines mains les cartes électorales, se penchait vers les votants et remettait ensuite cette carte. Les votants pour la plupart âgés étaient surpris par ce comportement. Nous devions désinfecter les stylos et proposer du gel hydroalcoolique à la fin des opérations. La présidente n’a pas compris que je lui fasse part de mes interrogations quant à ses mesures sanitaires.
Le soir des élections, notre liste, battue dès le premier tour, avait projeté une auberge espagnole. J’ai fait part de ma réserve à notre tête de liste. D’une part nous avions besoin de nous retrouver pour comprendre notre défaite mais nous réjouir aussi du combat que nous avions mené, de l’énergie , l’enthousiasme et la camaraderie qui nous avaient fédéré pendant les semaines précédentes. D’autre part il me semblait inopportun de nous rassembler dans un lieu confiné. J’ai assisté aux échanges verbaux et aux remerciements de notre tête de liste mais suis partie assez vite suivie de quelques colistiers.
Le lundi nous apprenions les premières mesures de confinement, notre laissez-passer à remplir ….
Tous les après-midis de la première semaine nous avons profité d’une excellente promenade à vélo d’une vingtaine de kilomètres en forêt dans un silence absolu avec un cadre magnifique et un soleil radieux. Je sentais que cela me faisait le plus grand bien et je ne pouvais contaminer personne puisque je ne rencontrais âme qui vive. Mais radio, télévision, contacts téléphoniques… ont petit à petit semer le doute sur le bien fondé de cette sortie. Certes je ne faisais de tort à personne mais si tout le monde avait le même comportement il y aurait trop de monde en forêt. De plus des amis de Gérardmer nous ont rapporté l’embarras d’une promeneuse en montagne qui avait dû faire appel aux secours. Ce n’était pas le bon moment !
C’est ce jour là que notre vie de confiné a réellement commencé, nous demandant si nous avions bien le droit de faire cela ou non. Il y avait conflit entre le légitime et le légal mais les amendes à 135€ étaient dissuasives.
La boulangère, la bouchère m’ont aussi permis de poursuivre ma réflexion : deux « petites jeunes », pas très costauds physiquement qui avaient une angoisse dans le regard. Que pouvais-je faire pour ne pas les mettre en danger ? Les boutiques où l’on doit saisir la clenche de la porte pour rentrer me mettaient mal à l’aise. J’imaginais tous les virus courant sur la poignée. J’ai décidé de bannir le marché pour ne pas m’exposer. Les course en supermarché ne m’ont pas spécialement rassérénée. Les lavages des mais sont devenus plus systématiques.
Alors j’ai cherché des patrons de masque pour être plus conformes à ce qu’on pouvait attendre d’une citoyenne responsable.